Par John Baglow
Il y a un peu plus de vingt ans, quelques semaines après le 11 septembre, le G20 se réunissait à Ottawa. La fin de semaine du 16 au 18 novembre, des milliers de personnes de toutes les couches de la société participaient à ce qui devait être une manifestation pacifique contre les politiques du FMI et de la Banque mondiale. Des policiers de quatre corps différents étaient là pour les accueillir et ce qui s’est passé ensuite a choqué la communauté.
Des gens ordinaires, certains simples spectateurs, dont un journaliste de la CBC-SRC, n’ont fait aucun geste de provocation. Ils ont néanmoins été pris à partie par les policiers qui ont utilisé contre eux des coins volants, des matraques, des gaz lacrymogènes, des balles en caoutchouc et des chiens d’attaque. Les policiers ont procédé à des fouilles et à des arrestations abusives. Beaucoup d’entre eux n’affichaient aucune pièce d’identité sur leur uniforme.
L’Hôtel de ville n’a pas réagi au tollé qui a suivi, pas plus que ne l’a fait la Commission des services policiers d’Ottawa. Le maire de l’époque, Bob Chiarelli, a soutenu la police et son Conseil a rejeté une résolution visant à promouvoir la guérison dans la communauté. La Commission des services policiers a refusé plusieurs demandes d’enquête. Tout portait à croire qu’il ne serait fait mention d’aucune responsabilité officielle pour les violents excès de la police en novembre.
Les membres de la communauté n’étaient pas disposés à laisser tomber l’affaire. Ils sont entrés en contact avec Marion Dewar, l’ancienne mairesse d’Ottawa très respectée, qui a accepté de convoquer un « Panel de citoyens », chargé de recevoir les commentaires du public sur les événements de novembre, en personne et par écrit, et de rédiger ensuite un rapport.
Il s’agissait d’un groupe d’experts, constitués de cinq membres, à savoir Mme Dewar, qui avait présidé la Commission des services policiers, Ken Binks, ancien député conservateur et juge fédéral à la retraite, Peter Coffin, évêque anglican d’Ottawa, Dre Anne Squire, ancienne modératrice de l’Église unie du Canada et Jacqueline Pelletier, experte-conseil en développement organisationnel.
Le Panel s’est doté d’un mandat large et impartial, a lancé un appel de mémoires et a tenu des audiences publiques pendant quatre jours les 21, 26, 28 février et 2 mars 2002. Bien qu’invitée à le faire et quoique très présente lors des sessions, la police d’Ottawa a refusé de présenter une soumission.
Lors des audiences, le Panel a entendu 55 intervenants et a reçu des commentaires écrits de 12 autres personnes. Il s’est avéré qu’il s’agissait d’un échantillon représentatif de la société civile. Le Panel a écouté des membres du clergé, des syndicalistes, des étudiants, des militants locaux, des conseillers municipaux, des commerçants, des journalistes et, selon les propres termes du Panel « ceux qui se décrivaient comme des pères, des mères, des grands-mères, des retraités et de simples participants ».
Le rapport du Panel, publié quelques semaines plus tard, faisait ressortir quelques problèmes fondamentaux. Les organisateurs de la manifestation avaient consulté la police au préalable et avaient toutes les raisons de croire que leur événement non violent pourrait se dérouler comme prévu. Au contraire, l’atmosphère créée par les forces de l’ordre était menaçante et intimidante.
Un certain nombre de policiers en service ne portaient ni badge, ni numéro d’insigne. Ils ne pouvaient donc pas être identifiés au moment de déposer une plainte. Les commandants de police étaient introuvables lorsque les manifestants avaient besoin d’aide pour calmer les affrontements tendus avec les officiers. En fait, la structure de commandement conjointe de la police, à en juger par le comportement anarchique de certains officiers semble s’être effondrée, pour autant qu’elle n’ait jamais existé en premier lieu.
Le Comité éditorial de l’Ottawa Citizen a fait preuve d’hostilité envers le Panel et son rapport, le rejetant pratiquement d’emblée comme partial et mettant malhonnêtement dans le même sac tous les participants aux événements de novembre comme étant de simples « manifestants » dont les récits devraient être accueillis avec scepticisme. Mais, même ce journal a dû admettre que le Panel avait été créé par défaut, la Commission des services policiers et les autorités provinciales ayant esquivé leurs responsabilités en ne menant pas d’enquête appropriée sur le maintien de l’ordre en novembre 2001 après un concert de plaintes de citoyens.
Il y a clairement quelque chose à dire en faveur d’une réponse non institutionnelle à la brutalité policière et à son réflexe défensif après coup. Pendant que le Citizen agitait son doigt éditorial, le Service de police d’Ottawa préparait son propre document, intitulé An Agenda for Excellence at Major Events publié sans coïncidence à peu près en même temps que le rapport du Panel.
De toute évidence, le Service de police d’Ottawa était resté à l’écoute. Une déclaration du chef de police Vincent Bevan, juste après la publication du rapport du Panel le 9 mai, était étonnamment conciliante et le document « Agenda » lui-même a effectivement refondu la politique de la Police d’Ottawa en ce qui a trait aux événements majeurs. Il y était souligné, entre autres, l’importance d’une communication fiable et continue entre les représentants des forces de l’ordre et les manifestants, notamment la présence sur place d’une équipe d’agents de liaison de la police, d’un centre de commandement fonctionnel lorsque plus d’un corps policier est impliqué et d’un protocole clair concernant l’identification des officiers.
Au fil des ans, cette approche a généralement été respectée. Cela est peut-être dû en partie à la mise en pratique de l’une des recommandations formulées par le Panel, à savoir que des citoyens « accompagnateurs » observent les agissements de la police pendant les grands événements. Quelques semaines après la parution du rapport du Panel, l’Ottawa Witness Group a été mis sur pied et, pendant quelques années, des équipes de témoins constituées de deux personnes portant des tee-shirts violets ont surveillé le maintien de l’ordre lors d’événements de ce genre, prenant des notes et publiant des rapports.
Lorsque les institutions de sécurité publique manquent à leur devoir et que leur supposée obligation de rendre des comptes échoue, la participation des citoyens est essentielle pour maintenir notre sécurité et nos droits. Cette leçon a été bien apprise en 2002 et c’en est une qui ne vieillit jamais.
Sincères remerciements à Bob Thomson qui a archivé en ligne tous les documents mentionnés dans cet article.